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Populisme, reprise des propositions du FN

Le jeu dangereux de Sarkozy (1)

Tentatives de séduction de l’électorat d’extrême-droite

Sur les 24 propositions du F.N. en matière de "justice et police" 11 d’entre elles ont déjà été réalisées par Dominique Perben et Nicolas Sarkozy. L’arrivée de Dominique de Villepin au ministère de l’intérieur ne remet pas en cause ce funeste bilan.

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Mots clés (Tags): Banlieues Elections Police Racisme Télévision

 Un court documentaire sur Sarkozy :


Sarkosy le populiste
Vidéo envoyée par propaglande

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AVI - 33.1 Mo

par Evelyne Sire-Marin, magistrat, membre du Syndicat de la Magistrature et de la Fondation Copernic (Sources)

 A quoi servent les lois sécuritaires ?

Les textes sécuritaires votés depuis deux ans à l’initiative du gouvernement n’ont paradoxalement pas pour objet de réduire la délinquance, pas plus que la loi contre les discriminations n’aura pour effet de réduire le nombre de foulards islamiques dans les écoles.

Ces lois stigmatisent au contraire des populations cibles, en les excluant socialement, comme si l’objectif était de les dresser contre la République. On aura ainsi obtenu la démonstration recherchée, selon laquelle il est décidément impossible d’intégrer dans la société française les femmes musulmanes et les jeunes des banlieues, appartenant d’ailleurs aux mêmes réserves de ces nouveaux indiens, les "arabo-musulmans".

Tout ce passe comme si, au contraire, ces lois d’exclusion devaient maintenir la pression de la peur sur les électeurs, entretenir leur effroi pour les refuznik de la République, en attendant les barbares des banlieues au journal télévisé du soir. Le but des lois sécuritaires est d’utiliser politiquement la délinquance de rue comme trompe-l’œil idéologique, de masquer le démantèlement de l’état social, tel qu’il résultait du programme de 1945 du Conseil National de la Résistance. Mais l’actuel gouvernement risque d’être lui-même victime de ce jeu de leurre de l’opinion publique ; car il est en train de réaliser en partie le programme du Front National (187 pages, 300 propositions), sans pour autant être certain de capter l’électorat d’extrême droite.

Séduire l’électorat d’extrême-droite

- "expulser les délinquants étrangers" : à cette fin, la loi immigration du 26 novembre 2003 fait passer de 12 à 32 jours le délai de rétention des sans papiers et N. Sarkozy a fixé l’objectif de 30 000 expulsions par an, multipliant à cette fin les charters d’étrangers.

- "bannir la politisation de la magistrature" : le projet du Garde des Sceaux de modifier le serment des magistrats en étendant l’obligation de réserve y pourvoira, ainsi que les poursuites actuelles contre des magistrats du Syndicat de la Magistrature : Hubert Dujardin (cf. l’affaire Tibéri et l’hélicoptère dans l’Himalaya), Albert Levy (cf. l’affaire des cantines du front national à Toulon) C. Schouler (cf. son livre "Vos papiers ! Que faire face à la police ?" sur les contrôles d’identité) et E. Alt (cf. sa déclaration contre la loi Perben II à l’audience).

- "organiser une coopération étroite entre police et justice" : c’est l’idée de "chaîne pénale" qui supprime la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire ; une circulaire du 4 février 2004 du ministère de l’intérieur enjoignait même aux policiers de faire des remontrances aux procureurs si leurs décisions ne leur convenaient pas, lorsque "les suites judiciaires" leur apparaissaient "insuffisantes ou mal appropriées". Selon cette conception, le rôle de la justice, fondamental pour la démocratie, qui est de contrôler la police et de sauvegarder les libertés individuelles, disparaît, au profit d’une coproduction de sécurité par deux institutions à finalité répressive.

- "rétablir la justice de paix" : la loi du 9 septembre 2002 crée les juges de proximité, notables locaux qui siègent seuls, sans formation juridique et qui, surtout, peuvent continuer à exercer leur ancien métier. L’impartialité de ces juges n’est pas garantie. Ainsi un colonel de gendarmerie statue comme juge de proximité sur des contraventions dressées par… la gendarmerie, en région parisienne ! Des huissiers vont juger des personnes endettées...

- "réhabiliter les peines promptes, certaines et incompressibles" : la loi Perben du 9 septembre 2002 permet de prononcer jusqu’à 20 ans de prison en comparution immédiate (peine encourue pour récidive de détention de cannabis par exemple).

- "réduire l’écart entre le maximum et le minimum de la peine" : une proposition de loi de parlementaires UMP sur les peines plancher prévoit que l’emprisonnement ferme sera automatique à la 3ème récidive ; par exemple, on ira en prison pendant 3 ans, au 4ème vol de CD.

- "rééchelonner la hiérarchie des peines" : la loi "criminalité organisée" du 9 mars 2004 punit par exemple de 15 ans de prison le vol en série de pièces de monnaie dans les horodateurs, organisé par 3 personnes, y compris des mineurs ; un attouchement sexuel, sans violence physique, sur une adolescente, entraînera l’inscription de l’auteur pendant 20 ans sur le fichier des délinquants sexuels, après l’exécution de sa peine, et rendra très difficile sa réinsertion.

- "sanctionner les manifestations publiques de la débauche" : la loi sécurité intérieure du 18 mars 2003 crée le délit de racolage passif.

- "créer 13 000 nouvelles places de prison" : la loi de programmation de la justice du 3 août 2002 le prévoit.

- "resocialiser les mineurs délinquants en centres fermés et responsabiliser les parents" : la loi du 2 août 2002 crée 600 places en centres éducatifs fermés et le projet sur la prévention de la délinquance imposera des stages payants aux parents "irresponsables".

- "améliorer la rémunération des policiers" : des primes de rendement sont créées pour les policiers et les magistrats.

Il manque encore, dans l’application du programme du FN par le gouvernement Sarkozy, le rétablissement de la peine de mort, la suppression de l’Ecole de la Magistrature et l’interdiction du syndicalisme dans la magistrature. S’agissant de la peine de mort, il a suffi d’attendre cette session parlementaire de printemps pour que soit déposée sur le bureau de l’Assemblée Nationale une proposition de loi de députés de la majorité tendant au rétablissement de la peine de mort en matière de terrorisme.

Les lois sécuritaires ont deux objectifs communs :

- identifier et contenir les populations inutiles pour l’ordre économique, les classes non laborieuses (chômeurs, jeunes des cités, immigrés, mendiants, prostituées, nomades) conçues comme des classes dangereuses.

- traiter pénalement les questions sociales en marginalisant l’autorité judiciaire, afin de passer du traitement artisanal actuel de la délinquance par la justice, à un traitement de masse, industriel, cogéré par les autorités administratives.

Les prescriptions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (droits de la défense, présomption d’innocence, procès équitable...) ralentissent en effet la production de sanctions par la justice. Le projet "prévention de la délinquance" du ministère de l’intérieur permet à des autorités administratives de co-produire des sanctions pour les familles "à problèmes". En amont de la justice, les maires pourront imposer des stages parentaux payants, des tutelles aux prestations sociales, des expulsions pour troubles de voisinage ; en aval de la justice, l’administration pénitentiaire devient juge de l’application des peines afin d’accélérer la gestion des flux carcéraux, en accordant elle-même des réductions de peine (loi criminalité organisée).

Ce traitement pénal de masse de la délinquance a en outre l’avantage de créer des emplois dans l’industrie de la punition (surveillants pénitentiaires, vigiles...).

Le leurre sécuritaire :

Ces lois sécuritaires ont une fonction de captation de l’opinion publique, d’occultation idéologique de la politique actuelle de liquidation de l’Etat social.

L’objet réel de la loi contre le foulard à l’école et des lois sécuritaires n’est pas de traiter les problèmes qu’elles dénoncent (intégrisme, délinquance, criminalité organisée...). Il faut au contraire que ces phénomènes perdurent.

Il est même souhaitable que les chiffres de la délinquance contre les personnes augmentent ou soient gonflés pour tenir en haleine les électeurs apeurés ; il est nécessaire de stigmatiser les filles voilées et le danger musulman pour détourner l’attention des chiffres du chômage, des délocalisations d’entreprises, des enfants vivant en France en dessous du seuil de la pauvreté (1million 1/2), de l’augmentation des expulsions locatives et du nombre de S.D.F.

Pendant qu’on agite le chiffon rouge contre de jeunes lycéennes voilées et contre l’insécurité de nos villes (pourtant les délits de voie publique ont diminué de 21% en 2 ans à Paris), les affaires du MEDEF peuvent continuer. L’attention des électeurs est détournée, et c’est bien là l’essentiel, de la détresse des chômeurs, de la précarisation des salariés et de la remise en cause du système des retraites et de l’assurance maladie.

Le résultat certain de la loi "contre les discriminations" est qu’on exclura de plus en plus de jeunes filles des lycées, car le durcissement de convictions déjà rigides est le réflexe de tout groupe victimisé. Le résultat annoncé des lois sécuritaires est qu’on entassera encore plus de détenus dans les prisons, dont chacun sait qu’elles sont des machines à produire de la récidive. Ainsi, selon les statistiques du ministère de la justice, 65% des personnes condamnées à de l’emprisonnement ferme retourneront en prison, tandis que seulement 11% de ceux qui ont bénéficié d’une peine de sursis simple ou d’une libération conditionnelle récidiveront (infostats justice, juillet 2003). L’emprisonnement n’a donc pas pour effet de réduire la délinquance !

Un ordre mobile

Malgré l’inefficacité réelle de l’emprisonnement sur la délinquance, la machine pénitentiaire tourne à plein régime : presque 62 000 détenus en 2004 (la population carcérale augmente de 14% par an depuis fin 2001 ! ), et l’inflation s’amplifiera par la poursuite des nouvelles infractions crées en 2003, tandis que le nouveau jugement sur négociation de la peine avec le procureur risque de faire exploser les prisons, où les détenus s’entassent déjà à 3 dans une cellule individuelle.

Au lendemain des élections présidentielles d’avril 2002, une député UMP (N. Kosciusko-Morizet, Le Monde du 14 novembre 2002) avait plaidé pour l’avènement d’un "ordre mobile" : "Il importe avant tout que le curseur de l’action se place là où l’adhésion accompagne le signe de l’ordre". Ordre mobile, justice en temps réel, ce sont des valeurs "modernes", empruntées à la mondialisation du marché, qui entrent dans l’univers judiciaire. Comme la circulation des marchandises, les lois doivent être fluides et flexibles, et la justice doit être immédiate. Effrayant aveu d’un projet de société pénalisant la simple contestation de l’ordre, le gouvernement met en place cet "ordre mobile". Les infractions crées par la loi "sécurité intérieure" du 18 mars 2003 ne résultent plus d’un préjudice matériel et concret causé à quelqu’un, elles se déduisent d’un comportement (mendier, se prostituer, bavarder en groupe devant un immeuble.). L’ordre social seul est en cause dans ces nouvelles infractions qui n’occasionnent aucun préjudice à une victime particulière.

La loi "criminalité organisée" du 9 mars 2004 complète le dispositif en orientant ces procédures vers "la négociation de la peine" avec le parquet. Une misérable justice, sans juges et sans audiences, pour des affaires de misère.

Aux Etats-Unis, ce système de plea-bargaining a été déterminant dans l’émergence des villes-prisons (taux d’incarcération 7 fois supérieur à celui de la France), accompagnée par l’automaticité des peines fermes en cas de récidive.

Séparer les populations utiles des populations inutiles

Les récents textes sécuritaires s’articulent donc dans une vision cohérente de l’organisation sociale, dont l’objet est de séparer les populations utiles (électeurs, salariés), des populations inutiles (chômeurs, délinquants, immigrés).

Qu’il s’agisse de la loi Perben du 9 septembre 2002 sur les "orientations de la justice", de la loi Sarkozy du 18 mars 2003 sur la "sécurité intérieure", de la loi sur l’immigration du 26 novembre 2003, ou de la loi "criminalité organisée"du 9 mars 2004, toutes les lois récentes illustrent le traitement pénal des questions sociales.

Car la disparition des emplois industriels, le déséquilibre des relations salariés/employeurs, laissent sans activité et sans espoir, d’immenses réservoirs de main d’œuvre, jusqu’ici utilisés dans l’essor économique. Un traitement social de ces populations en déréliction nécessiterait une autre politique de services publics, une autre distribution des richesses, que le MEDEF ne peut accepter.

La seule alternative qui s’offre à l’actuel gouvernement est d’appliquer un traitement pénal de masse à ces populations désormais au chômage pour lesquelles il n’est plus possible de monter dans l’ascenseur social, et qui ne peuvent même plus prétendre à la condition ouvrière de leurs parents.

La crise du libéralisme détermine cette régression conservatrice, et ces lois sécuritaires. Celles-ci permettent à la fois d’alimenter la peur, l’individualisme, donc d’empêcher les mobilisations sociales, mais aussi de créer des emplois dans "l’industrie de la punition" et de la surveillance, selon l’analyse de Niels Christie.

L’industrie de la punition

L’ensemble du secteur de la sécurité publique et privée (policiers, vigiles, surveillants, gendarmes...) représente presque 400 000 emplois en France ; il est en croissance constante, puisque 14 000 policiers et gendarmes vont encore être recrutés d’ici 2007. La 13ème édition de "MILIPOL Paris 2003", salon entièrement dédié aux technologies de la" sécurité intérieure des états et de la lutte anticriminelle", témoigne de la prospérité de ce secteur économique qui génère de nouveaux métiers et crée des emplois autour de la biométrie (identification humaine), des caméras intelligentes, des entreprises d’intelligence économique (stratégie du risque)... Bourdieu remarquait déjà en 1993, dans "la misère du monde", que le chiffre d’affaires de la sécurité privée représentait le tiers du budget de la police nationale (article de Rémi Lenoir, "désordre chez les agents de l’ordre") .

C’est ainsi que dans une période où 10% de la population est au chômage, la prison a une fonction asilaire, mais aussi un rôle économique. L’ouverture des champs pénitentiaire et judiciaire aux entreprises privées se manifestent par des modifications importantes des règles concernant les marchés publics : Les lois de programmation pour la sécurité intérieure et pour la justice prévoient des dérogations aux procédures d’appels d’offres, pour la construction des 13 000 nouvelles places de prison et des 600 places de centres fermés pour mineurs. Le montant des sommes engagées s’élevant à 1,3 milliards d’euros pour les seules prisons, tout le secteur des travaux publics va bénéficier de la politique du tout carcéral, sans compter la construction de commissariats et de la création d’une centaine d’unités de gendarmerie, d’ici 2007 (toujours selon des procédures dérogatoires au code des marchés publics). Si on se fie aux pratiques actuelles des entreprises du bâtiment, on verra bientôt le Ministère de la justice lui-même mis en examen dans des affaires de corruption....

Pour de nombreux groupes (Valeo, Vahiné, Assistance Publique des Hôpitaux de Paris...), le travail des prisonniers, payé bien en dessous du SMIC, représente une main d’œuvre flexible à souhait, sans syndicat ni risque de grève, sans que le droit du travail ne s’applique. Les cantines des prisons assurent depuis longtemps de confortables bénéfices à la multinationale Sodexho. Les prisonniers sont rémunérés à la tâche pour assembler des matériels de perfusions ou des équipements de voitures, tandis que des entreprises se partagent les profits du renouvellement des armes des policiers (300 000 armes de poing pour 90 millions d’euros), des bracelets électroniques (Elmotech), des flash-balls....

La vidéo surveillance des rues ou des parkings concerne 388 communes en France, avec un budget d’environ 100 000 euros par commune ; ce marché va se développer considérablement car le projet de loi sur la "prévention de la délinquance" accorde des réductions d’impôts en cas d’installation de caméras dans les immeubles collectifs !

Tandis que certains font des affaires grâce à l’expansion du marché du sécuritaire en profitant de l’idéologie de la tolérance zéro, des pans entiers de la populations sont reléguées, soit dans une infra-société, sans services publics et sans égalité des droits, survivants du RMI et du travail précaire, soit dans les prisons, qui sont plus que jamais, comme l’a démontré Loïc Wacquant, celles de la misère.


« Nettoyage au Karcher », « débarrasser la France des voyous »... Depuis quinze jours, Nicolas Sarkozy multiplie les sorties provocantes et se prépare, au grand dam des associations de magistrats, à durcir la législation en matière de récidive. Auteur de la Volonté de punir (Hachette littératures, 2005), Denis Salas décrypte le discours et les intentions du ministre de l’Intérieur.

Entretien réalisé par Laurent Mouloud paru dans l’édition du 28 juin 2005 de l’Humanité.

LDH-Toulon

Comment analysez-vous l’attitude de Nicolas Sarkozy, omniprésent ces derniers jours sur la scène juridique et médiatique ?

Denis Salas. On peut le rapprocher de ce que j’appelle le populisme pénal. C’est-à-dire un appel direct au « peuple », qui disqualifie totalement les institutions dans le règlement des problèmes de société. Au lieu de laisser la justice et la police intervenir et mener à bien leurs activités, lui utilise l’émotion suscitée par le crime et se pose comme le dépositaire d’une volonté de révélation, de recherche instantanée de l’auteur. Ainsi, tout à la fois, il épouse la colère de la victime, discrédite les instances chargées de répondre à la violence et à la délinquance, et brouille les frontières de la démocratie en en appelant à l’opinion - publique.

Quel est le but recherché ?

Denis Salas. Dans toute démarche de ce type, il y a une volonté d’être en phase avec l’émotion de la population et son besoin très fort de protection. J’ai été frappé par l’attitude du ministre de l’Intérieur à Perpignan : le leader politique se déplace sur les lieux, se met en scène dans la ville avec les médias... Il tente par là de répondre à une fonction très profonde et symbolique du rôle de l’État : montrer sa force pour rassurer et protéger. Mais, évidemment, ce n’est qu’une sécurité imaginaire, principalement basée sur la présence et l’image. Dans la réalité, je ne suis pas certain qu’après ce genre de manifestation les habitants de Perpignan ou de La Courneuve soient aujourd’hui plus sereins.

Ce genre de procédé peut-il séduire longtemps ?

Denis Salas. Une chose est sûre : la culture de la sécurité ne peut pas se fonder sur le partage de la peur ou de l’émotion face au crime qui vient de se produire. Elle doit être l’oeuvre d’une construction patiente, en lien fort avec les populations et les institutions (élus, police, justice). C’est dans ce maillage territorial et local que se construit la vraie sécurité. Un discours à chaud sur l’événement ne peut en être qu’une étape : le prélude à un travail plus long de dénouement des conflits.

De quels modèles s’inspire Nicolas Sarkozy ?

Denis Salas. Le phénomène de populisme pénal est apparu aux États-Unis. Il a été conçu comme une réponse à une criminalité de plus en plus dure. Et s’est traduit par une répression accrue, avec des lois toujours plus sévères, concernant notamment les multirécidivistes et les délinquants sexuels. Pour le moment, le populisme pénal à la française est différent. Il n’a pas encore - j’espère que cela ne sera jamais le cas ! - instauré des lois avec des peines automatiques qui suppriment la libre appréciation du juge. Outre-Atlantique, la loi californienne, qui a été généralisée à l’État fédéral, impose qu’au bout de trois délits cumulés le tribunal prononce une peine de perpétuité ! La France, elle, n’est pas liberticide, mais elle crée les conditions susceptibles de provoquer de graves atteintes aux droits fondamentaux. Et elle délégitime les institutions qui en sont les gardiens.

Ce populisme pousse aussi certains, comme l’a fait Nicolas Sarkozy, à s’affranchir de l’indépendance de la justice...

Denis Salas. C’est une autre caractéristique française : la mise en cause du juge. Aux États-Unis, il n’y a pas, dans la procédure, de juge actif comme peut l’être chez nous le juge d’instruction. Là-bas, le juge n’est qu’un arbitre. En France, au contraire, il est un acteur politique que certains entendent bien combattre. On le voit aujourd’hui avec Nicolas Sarkozy dans l’affaire Crémel. On l’a vu aussi avec Lionel Jospin, en 2001, dans l’affaire Bonnal [du nom de cet homme qui avait tué quatre personnes après sa sortie de prison - NDLR]. Tantôt laxiste, tantôt liberticide, le juge devient une institution scandaleuse lorsque le point de vue populiste s’impose. Une seule chose compte : réaliser le serment de vengeance fait devant la famille de Nelly Cremel, ou jadis devant celle du préfet Érignac. On dénonce aisément ces procédures trop lentes, voire inutiles pour protéger la société, tout en omettant de dire que celles-ci sont indispensables pour garantir une justice équilibrée parce que distanciée.

La justice peut être un rempart au populisme pénal. Elle peut aussi être influencée par ce dernier...

Denis Salas. Absolument. Et c’est ce qui est dangereux. Aujourd’hui, on constate que la gestion émotionnelle envahit les mécanismes internes de l’institution judiciaire, à travers cette pression à l’urgence, au résultat, au traitement en temps réel. Poussée par un certain climat politique, la justice privilégie la réponse immédiate et surtout visible. C’est une grave erreur. Le traitement réellement efficace de la délinquance ne peut se conjuguer qu’avec des politiques sociales et un travail en commun avec les associations. Malheureusement, ce traitement-là est souvent invisible et donc peu exploitable par des politiques soucieux de montrer leur action. Aujourd’hui, la justice est plutôt sommée d’envoyer une opinion au peuple. Elle ne doit plus rechercher la peine la mieux adaptée aux actes commis par un individu, mais être dans la résonance de la colère des victimes et prononcer une peine qui en soit le reflet. En déclarant « je ne reconnais que la colère des victimes », Nicolas Sarkozy se situe vraiment dans cette optique.

Comment a évolué la perception de la peine ces dernières années ?

Denis Salas. Depuis l’après-guerre, il y a eu une permanence de la conception individualisée de la réponse à la délinquance, avec notamment l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants et l’instauration d’une prison privilégiant le traitement éducatif. Le rapport pénal entre l’État et les délinquants poursuivait un but, politiquement prioritaire : la réhabilitation. Il y avait alors un consensus général pour défendre une attitude humaniste, « intégratrive », à l’égard de la déviance. Mais, progressivement, une redéfinition du périmètre de la sécurité a eu lieu. On n’a plus pensé la délinquance à l’échelle de l’individu, mais à l’échelle des territoires, des villes, des quartiers. Une lecture plus géographique, policière et sécuritaire de la délinquance - aujourd’hui « insécurité » - s’est imposée. Nous ne regardons plus cette délinquance au travers le regard du juge, du psychiatre ou de l’éducateur. On la regarde à travers le regard de la victime et de tous ceux qui subissent la déviance. Un regard renforcé par les médias « image », bien sûr, mais aussi par le contexte post-11 septembre qui a accru la notion de société du risque et durci considérablement les dispositifs pénaux et policiers.

Comment éviter de sombrer dans ce populisme pénal ?

Denis Salas. Il y a, tout d’abord, nécessité de redonner une certaine solidité aux frontières de la démocratie. Dans le populisme, il y a une sorte d’appel au génie spontané du peuple et une disqualification des institutions démocratiques. Il faut donc - rappeler le principe de l’indépendance de la justice et remettre en place, en quelque sorte, l’architecture de la démocratie. Ensuite, sur le plan de la sécurité, il faut sortir des réponses immédiates. Il y a un travail au niveau local et territorial à faire entre élus, habitants et associations. Ce n’est pas l’intervention providentielle d’un homme politique qui va changer les choses mais le partenariat sur le long terme entre les acteurs qui construisent ainsi un bien commun. Enfin, il faut renouer avec le traitement individualisé de la délinquance. À ce titre, on ne peut que déplorer l’absence de moyens accordés au milieu ouvert (accompagnement des détenus, libertés conditonnelles...) qui, on le sait, réduit de beaucoup les risques de récidive. Une amélioration passe donc par un fort investissement sur ces parcours de réhabilitation, mais aussi par un discours politique qui, non pas disqualifie, mais reconnaisse et légitime des activités professionnelles, comme celles exercées par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l’administration pénitentiaire.


 État d’urgence

Nicolas Sarkozy avait clairement annoncé son projet de racoler l’électorat d’extrême droite. A Toulon, en mars 2004, lors d’un meeting électoral, il avait déclaré à propos des électeurs du Front national : « Leur faire des reproches ne sert à rien. S’ils votent comme ils votent, c’est parce qu’ils souffrent. Diaboliser ces électeurs est contre-productif. Il faut les sortir du ghetto [...], [leur] faire comprendre que la République est prête à entendre leur désespérance et à lui apporter une réponse " [1].

Dix huit mois plus tard, constatons les dégats : suite à des dérapages plus ou moins calculés, de propos populistes en sous-entendus xénophobes, il est devenu quasiment impossible de distinguer la droite et l’extrême droite.

Nous vous proposons un dossier de Ivan du Roy, publié dans Témoignage chrétien le 8 décembre 2005 : après un état des lieux, vous trouverez une mise en garde de Bernard Stasi puis un appel de Miguel Benasayag.

Ça commence à sentir sérieusement le soufre. Les digues qui séparaient la droite parlementaire de l’extrême droite ont cédé. Un ouragan de lieux communs xénophobes et de propositions plus réactionnaires les unes que les autres a eu raison des ultimes barrages. Comme si, à coup de « Kärcher » et de « racaille », le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, venait d’ouvrir une brèche vers un jardin jusque-là défendu où, telles les feuilles mortes d’automne, les voix du Front national se ramassent à la pelle. Tous les nostalgiques frustrés d’un ordre ultraconservateur et nationaliste sont en train de s’y engouffrer.

L’une des premières à franchir le seuil a été Hélène Carrère d’Encausse, membre de l’Académie française, expliquant les récentes violences urbaines par la polygamie des pères de familles africains. Une analyse digne d’un bavardage de comptoir à la fête lepéniste « Bleu, Blanc, Rouge », aussitôt reprise par Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Le philosophe télévisuel Alain Finkielkraut leur a prestement emboîté le pas, évoquant, dans une interview au quotidien de gauche israélien Haaretz, et toujours à propos des émeutes, « une révolte à caractère ethnico-religieux » animée par « la haine de l’Occident » [2]. Une foule de parlementaires UMP - 201 très exactement - se sont précipités à leur suite, demandant à ce que des sanctions soient prises contre les groupes de rap qui seraient coupables de racisme antifrançais [3]. A quand une loi sur le bon goût musical ? à quand un décret pour que Brassens, à titre posthume, soit déchu de sa citoyenneté ? Cela ne saurait tarder : un projet de loi déposé par le député des Pyrénées-Orientales, Daniel Mach, propose d’instaurer « un délit d’atteinte à la dignité de la France et de l’État » [4].

Les digues ont cédé car elles étaient sévèrement érodées. Début novembre, le député du Val-de-Marne, Jacques-Alain Bénisti, remettait son rapport sur la prévention de la délinquance, qu’il peaufinait depuis huit mois [5]. Selon lui, les comportements déviants sont détectables dès la maternelle et la pratique du bilinguisme, facteur de déscolarisation et de délinquance, doit être interdite. Le 29, malgré l’opposition de la gauche et de l’UDF, la loi reconnaissant le « rôle positif de la colonisation » était confirmée par l’Assemblée nationale [6]. Enthousiaste, Georges Frêche, président PS de la région Languedoc-Roussillon, entonnait un chant colonial lors du conseil régional (les voix de certains pieds-noirs aussi se ramassent à la pelle) [7]. Ce n’est pas un cauchemar : nous vivons bien dans la France du XXIe siècle. Balayé par ce déferlement, le ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, Azouz Begag, est porté disparu. Submergé, le gardien du temple Jacques Chirac n’est plus écouté. Il a beau récuser, de Bamako, certains amalgames, le gouvernement de Villepin planche sur un énième projet de loi sur l’immigration, restreignant toujours davantage les conditions de séjour des étrangers, qu’ils soient conjoints de Français ou étudiants. Comme si l’immigration était l’unique enjeu depuis vingt ans. Les huit personnes mortes de froid il y a quinze jours, privées d’accès à un logement ? La faute aux polygames ! L’épineuse question de la redistribution des richesses dans un pays socialement malade ? La faute aux immigrés !

« Quand on ne condamne pas, on est complice », rappelle ci-dessous l’ancien ministre Bernard Stasi. Existe-t-il encore à droite des élus qui refusent la tentation xénophobe ? Miguel Benasayag les invite à sortir du bois. Une parole ferme des institutions religieuses et morales ne serait pas non plus superflue. Loin de là. À la gauche aussi de se manifester plus énergiquement. Et pas seulement en réaffirmant ses valeurs antiracistes, mais en proposant aux Français un modèle débarrassé du mythe de la France coloniale, qui ne tremblerait plus de peur face à sa jeunesse multiculturelle.

par Ivan du Roy

Notes :

[1] Voir Les électeurs du Front sont des électeurs comme les autres !.

[2] Voir les égarements d’Alain Finkielkraut.

[3] Voir plaintes contre les rappeurs : l’UMP dérapp’.

[4] Voir Maréchal nous voila !.

[5] Voir analyse de la version finale du rapport Benisti .

[6] Voir l’UMP colonise l’histoire de France.

[7] Voir Languedoc-Roussillon : il faut une longue cuillère pour dîner avec le diable.


« Le philosophe Miguel Benasayag, qui livrait tous les matins une chronique aux auditeurs de France Culture, a été remercié par Laure Adler, directrice de la station (...) jeudi 18 mars. La radio publique lui a fait savoir sa décision au lendemain d’une chronique au cours de laquelle il comparait le programme sécuritaire du Front National et les réalisations du gouvernement, en particulier de Nicolas Sarkozy. »

(Lire la suite sur Acrimed)


 Petit appel aux députés de droite

par Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste.

Choqué par de récents propos stigmatisant les immigrés, Miguel Benasayag demande que des voix de droite s’élèvent pour protester à ses côtés.

Homme de gauche, né dans une famille de gauche, marié à une femme de gauche, je sais très bien ce que signifie l’appartenance à une famille politique. Au risque de fâcheries, de fortes inimitiés, d’exclusions, de censure dans certains journaux, j’ai toujours su que le sentiment d’appartenance à la famille de gauche ne devait pas m’inciter à agir en mafieux. J’ai toujours su que l’Union soviétique n’était pas un allié. En tant que Latino-Américain membre de la gauche radicale, je paie tous les jours le prix de mes critiques à l’égard du régime castriste. Je sais donc que l’on peut appartenir à une famille politique, mais je sais aussi que celle-ci n’est jamais monolithique. Au contraire. Une famille est morte politiquement quand elle devient monolithique.

Après certaines déclarations inacceptables entendues ces derniers jours (Gérard Larcher, ministre délégué à l’Insertion professionnelle : « La polygamie est l’une des causes de la délinquance ; François Grosdidier, député UMP : « Dans ma commune, lors d’un mariage sur deux, l’hôtel de ville résonne des you-you »), je veux alerter la famille de droite du danger qui la menace. Et qui menace la société dans son ensemble. Ayant vécu la première moitié de ma vie sous la dictature et la deuxième moitié en démocratie, je suis bien placé pour reconnaître la valeur de ma deuxième patrie, la France. Je l’aime d’autant plus qu’elle représente une véritable exception dans un paysage international troublé par tant de désordre et de violence.

Il y règne une tranquillité et une paix sociale que beaucoup de pays nous envient. Elle offre un espace où la pensée est possible. C’est au nom de cette exception que je lance un appel. Ma démarche est très concrète. Je cherche, au sein de l’Assemblée nationale, un homme ou une femme de droite pour interpeller ses collègues et leur faire signer ce texte qui affirme quelques principes clairs :

La France a toujours su dépasser les différences non pas en les écrasant mais en les valorisant. Quand nous ouvrons nos portes à des étrangers, ce n’est pas toute la misère du monde que l’on accueille mais toute sa richesse.

Refusons la remise en cause de la nationalité, de la richesse des flux migratoires et de notre tradition d’accueil et de coexistence. Brisons l’élan des tentations xénophobes, communautaristes, autoritaires et révisionnistes. Dénonçons les attitudes provocatrices et démagogiques qui congédient la pensée. Opposons-nous à ces dérives qui, pour des raisons électoralistes, risquent d’entraîner le pays vers des tensions et des conflits que tout le monde regrettera. Les lendemains de grandes divisions et de grandes violences, il n’y a jamais de gagnant. Seulement des regrets. Le moment est venu d’opposer une résistance. Nous ne sommes pas le 18 juin, seulement le 8 décembre. Mais ce petit appel du 8 décembre a son importance.

Moi, juif, athée, libertaire, je prends les lecteurs de Témoignage chrétien pour témoins des suites que je recevrai à cet appel.

(Source : LDH-Toulon)

A VOIR :

Censure : suppression de la chronique quotidienne de Miguel Benasayag sur France Culture

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