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A propos du rapport du juge Jean-Louis Bruguière

La supercherie du juge Bruguière

Par Jean-Paul KIMONYO*

Kigali, Nov.26 (ARI) - L’ordonnance soit-communiqué présentée au parquet de Paris par le juge Bruguière en vue d’émettre des mandats d’arrêt internationaux contre neuf responsables militaires rwandais pour leur participation présumée à l’attentat contre l’avion du président Habyarimana est basée sur trois types de preuves : 1) des éléments contextuels, 2) une preuve testimoniale et 3) l’évocation d’une preuve matérielle, deux tubes lance –missiles.

Mission d’Information (Assemblée Nationale) Mis en ligne par iso
Mots clés (Tags): Rwanda

La présente analyse ne traite que de la preuve matérielle soumise par le juge Bruguière. Vu la gravité de l’accusation et le caractère très politique de l’ensemble de la question, la preuve matérielle se doit d’être sans faille, à même de remporter la conviction du juge au-delà de tout doute raisonnable selon la formule consacrée.

Les éléments suivants reprennent l’essentiel de la preuve matérielle présentée par le juge Bruguière. [1]

Le juge Bruguière appuie son plaidoyer sur le fait qu’il a pu authentifier l’origine et le cheminement des missiles qui auraient abattu l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994 déclenchant le génocide.

Les tubes lance-missiles, véritable preuve matérielle qui lui permet de retracer partiellement l’origine et le cheminement des missiles ayant disparu au Zaïre, la piste du juge Bruguière se base sur un rapport d’identification de ces tubes lances missiles et sur des photographies des lanceurs produits par les Forces armées rwandaises en avril 1994.

Bruguière explique que les numéros d’identification de ces missiles ont été prélevés sur les deux tubes lance-missiles prétendument retrouvés abandonnés sur les lieux des faits. Des paysans auraient découvert les deux tubes abandonnés dans les buissons dans le secteur de Masaka non loin du camp Kanombe et les avaient apporté aux Forces armées rwandaises qui avaient enregistré leurs numéros d’identification.

Bruguière explique que le 24 ou le 25 avril 1994, le Lieutenant ingénieur Augustin MUNYANEZA avait examiné les deux tubes. Il avait rédigé un rapport manuscrit relevant les numéros d’identification des tubes lance-missiles, 04-87-04814 pour l’un et 04-87-04835 pour l’autre. Ce rapport d’une page a été reproduit en photocopie dans les annexes du rapport de la mission d’information parlementaire française. [2]

Les lance-missiles ont été photographiés. Sur ces photos on peut lire clairement le numéro de référence d’un des tubes lance-missiles qui correspond effectivement à l’un des deux numéros rapportés plus haut. Ces photos sont elles aussi reproduites dans les annexes du rapport de la mission d’information. [3]

Le juge Bruguière a réussi à établir que ces photos ont été remises à Paris, courant mai 1994, au général HUCHON alors affecté au ministère français de la Coopération par le Lieutnant-colonel Ephrem RWABALINDA, accompagné pour la circonstance par le colonel Sebastien NTAHOBARI, attaché de défense à l’ambassade du Rwanda à Paris. Ces clichés ont été ensuite remis par le Ministère de la Coopération à la Direction du Renseignement Militaire (DRM). [4]

Le juge Bruguière explique qu’en exécution d’une demande d’entraide judiciaire, le Parquet militaire de Moscou a établi que les deux missiles portant les références 04-87-04814 pour l’un et 04-87-04835 pour l’autre, avaient été fabriqués en URSS et faisaient partie d’une commande de 40 missile SA 16 IGLA livrés à l’Ouganda dans le cadre d’un marché inter-étatique.

Pour le juge Bruguière, vu l’origine ougandaise des missiles et que, selon lui, l’armement du FPR, y compris ses moyens anti-aériens provenaient de l’arsenal militaire de l’Ouganda, c’est le FPR qui a abattu l’avion du président Habyarimana.

Dans sa démonstration, le juge Bruguière cite abondamment le rapport de la mission d’information dont il tire presque toutes ses informations relatives aux missiles. Il ne fait que faire confirmer certaines de ces informations par certains témoins presque tous des opposants au FPR ou des militaires français. La seule véritable information nouvelle par rapport à celle qu’il puise dans le rapport de la mission d’information est le retraçage confirmé de l’origine des missiles, à savoir leur fabrication russe et leur passage dans l’arsenal militaire ougandais.

Cependant, la piste de ces missiles numéros 04-87-04814 et 04-87-04835 a été disqualifiée par la mission d’information parlementaire française qui a clairement démontré qu’il s’agissait d’une tentative de manipulation.

La meilleure façon de procéder ici est de reproduire les conclusions de l’évaluation de la question des missiles de la mission parlementaire d’information.

Pour une bonne compréhension de ces conclusions qui mentionnent le professeur Reyntjens, il faut savoir que les numéros de référence des deux lance-missiles que Filip Reyntjens mentionne dans son ouvrage « Rwanda, Trois jours qui ont fait basculer l’histoire » [5] correspondent exactement aux numéros du rapport manuscrit du Lieutenant ingénieur Augustin MUNYANEZA reproduit dans les annexes du rapport de la mission d’information.

Ces numéros sont les suivants [6] :

Premier lanceur

9 M 322-1-01 9 M 313-1 04-87 04835 C LOD COMP 9M 519-2 3555406

Second lanceur :

9 M 322-1-01 9 M 313-1 04-87 04814 C LOD COMP 9M 519-2 5945107

Voici l’évaluation de la mission parlementaire d’information des documents ayant trait aux missiles essentiellement le rapport manuscrit du Lieutenant ingénieur Augustin MUNYANEZA et les photographies d’un des lanceurs. Nous reproduisons le texte avec le formatage de la version disponible sur internet.

b) Les enseignements des documents mis à la disposition de la Mission sur le type et l’origine des missiles

Afin de compléter les informations résultant des auditions auxquelles elle a procédé, la Mission a souhaité disposer de documents qui lui ont été communiqués, soit par l’exécutif, soit par des témoins entendus, et dont la liste est jointe en annexe. Parmi ces documents, certains ont plus particulièrement retenu l’attention de la Mission.

Le ministère français de la Défense a transmis à la Mission des photos d’identification de lanceur des missiles, prises au Rwanda les 6 et 7 avril 1994, émanant de la direction du renseignement militaire et transmise à cette dernière par la Mission militaire de coopération. Etaient joints à cette transmission la photocopie du cahier d’enregistrement de la DRM du 22 au 25 mai 1994, ainsi que les photographies originales d’un missile antiaérien. Les documents étaient également accompagnés de deux listes de missiles de type SAM 16 établies par la DGSE, la première inventoriant les missiles en dotation dans l’armée ougandaise, la seconde les missiles récupérés par l’armée française sur les stocks irakiens au cours de la guerre du golfe.

Il ressort de l’analyse de ces documents et des auditions complémentaires conduites par votre rapporteur :

— que les photographies, prises au Rwanda, n’ont été enregistrées sur le cahier de la DRM que le 24 mai 1994 ;

— que ces photographies présentent un lanceur - et un seul - dont les numéros d’identification sont lisibles. Ces numéros correspondent à ceux de l’un des deux lanceurs évoqués par le professeur Filip Reyntjens dans son ouvrage " Rwanda : les trois jours qui ont fait basculer l’histoire " ;

— qu’au terme d’une première expertise de ces photographies, il est probable que les lanceurs contenant les missiles n’aient pas été tirés : sur les photocopies des photos, le tube est en état, les bouchons aux extrémités de celui-ci sont à leur place, la poignée de tir, la pile et la batterie sont présents ;

— que les numéros de référence des lanceurs fournis (9M322) semblent correspondre à des SAM-16 " Igla " dont la référence russe est 9K38. Compte tenu de ces éléments, il convient de formuler les remarques suivantes :

— puisque les numéros portés sur le lanceur, dont la photographie a été transmise par le ministère de la Défense, correspondent à ceux de l’un des deux missiles identifiés par M. Filip Reyntjens à partir du témoignage d’un officier des FAR en exil, M. Munyazesa, et puisque ces photos présentent des lanceurs probablement pleins, c’est donc que les missiles identifiés par l’universitaire belge ne constituent vraisemblablement pas l’arme ayant servi à l’attentat, sauf à considérer que les dates d’enregistrement du cahier de la DRM sont erronées ;

— dans le bordereau de transmission à la Mission des photographies de missiles, communiquées par la MMC à la DRM, comme dans le cahier d’enregistrement de ces photographies par la DRM, il n’est fait à aucun moment mention de l’auteur de ces documents photographiques, ni du lieu de leur prise, ni des conditions de leur acheminement vers les administrations centrales françaises, ce qui altère singulièrement la portée de ces éléments ; Interrogés sur l’origine de ces photographies et sur les raisons pour lesquelles leur existence n’avait pas été mentionnée à l’occasion des auditions auxquelles ils avaient participé, MM. Michel Roussin, ancien Ministre de la Coopération exerçant la tutelle politique sur la MMC et Jean-Pierre Huchon, ancien Chef de la MMC, ont tous deux indiqué qu’ils ne se souvenaient pas avoir été destinataires de ces documents au moment de leur enregistrement, alors même que la MMC est, selon le bordereau communiqué par le ministère de la Défense à la Mission, l’administration par laquelle ont transité ces photographies, en 1994, avant de parvenir à la DRM. Il convient également de noter que, selon les informations dont dispose la Mission, ces documents auraient été extraits en 1998 des archives du ministère de la Coopération, avant d’être mis à la disposition du Parlement en vue de l’accomplissement de ses travaux.

Dans son ouvrage, le professeur Filip Reyntjens indique que les lanceurs, dont il communique les numéros, auraient été récupérés à proximité de Masaka, aux environs du 25 avril 1994. Or, les photographies correspondant à l’un de ces lanceurs n’auraient été enregistrées par la DRM dans ses cahiers qu’un mois plus tard, le 25 mai, sans qu’aucune explication n’ait permis à la Mission de comprendre les raisons de ce délai, ni de déterminer les conditions d’acheminement de ces documents.

Il ressort enfin que les missiles identifiés par M. Filip Reyntjens et correspondant, pour l’un d’entre eux, aux documents photographiques évoqués, entrent dans la série ougandaise et non dans la série française.

Ces constats ne fixent cependant aucune responsabilité dans l’accomplissement de l’attentat. Par delà les doutes déjà exprimés concernant la fiabilité des photographies mises à la disposition de la Mission, nous savons de sources concordantes, que les forces armées rwandaises avaient récupéré, en 1990 et 1991, sur le théâtre des opérations militaires et sur le FPR des missiles soviétiques, qu’elles auraient pu utiliser pour perpétrer l’attentat.

Ces missiles sont évoqués dans un télégramme de l’attaché de défense français en date du 22 mai 1991 : " l’état major de l’armée rwandaise est disposé à remettre à l’attaché de défense un exemplaire d’arme de défense sol-air soviétique de type SA 16 récupéré sur les rebelles le 18 mai 1991 au cours d’un accrochage dans le parc de l’Akagera. Cette arme est neuve ; son origine pourrait être ougandaise ; diverses inscriptions, dont le détail est donné si après seraient susceptibles d’en déterminer la provenance " (cf. annexe). " Dans le cas ou un organisme serait intéressé par l’acquisition de cette arme, je vous demande de bien vouloir préciser sa destination et les modalités relatives à son transport en France " conclut l’attaché de défense, M. Galinié.

Par ailleurs, dans une correspondance qu’il a adressée à la Mission, consécutivement à la publication par Libération d’un article rendant compte de la mission des deux rapporteurs à Kigali, Sébastien Ntahobari, ancien commandant de l’aviation militaire rwandaise, a fait part des informations dont il disposait concernant les moyens sol-air en dotation au sein du FPR, corroborant ainsi pour partie les éléments d’information détenus par le Colonel René Galinié.

L’inscription des missiles dans une liste ougandaise ne désigne pas pour autant le FPR comme l’auteur de l’attentat, pour les raisons suivantes :

— les extrémistes hutus, qui ne disposaient pas de moyens antiaériens, auraient pu utiliser ceux récupérés sur le FPR pour perpétrer l’attentat contre l’avion présidentiel, en ayant recours soit à des mercenaires, soit à des militaires rwandais spécialement formés au maniement de telles armes ;

— puisque de vrais doutes subsistent concernant la date et les conditions de prise des photographies mises à la disposition de la Mission, rien n’exclut qu’il s’agisse de missiles récupérés sur le FPR et photographiés par les FAR avant ou après le 6 avril ;

— enfin, la France ayant été accusée, à plusieurs reprises, par certains journalistes ou observateurs étrangers, d’avoir de près ou de loin prêté sa main aux auteurs de l’attentat, pourquoi aurait-on attendu quatre années pour apporter la preuve de la culpabilité du FPR et de l’Ouganda, sur le fondement de ces photographies et des listes de missiles qui les accompagnent ?

c) Les questions en suspens

De l’examen attentif des éléments mis à la disposition de la Mission d’information comme des auditions effectuées en vue de compléter cet examen, il ressort quelques constations :

— la probabilité étant forte que le missile photographié n’ait pas été tiré, ce missile ne peut en aucune manière être considéré de façon fiable comme l’arme ayant abattu l’avion du Président Juvénal Habyarimana ;

— la photographie de ce missile, jointe en annexe, faisant apparaître l’un des numéros qui correspondent à ceux publiés par M. Filip Reyntjens, il y a donc peu de chance que les missiles identifiés par l’universitaire belge correspondent à ceux qui ont effectivement servi à abattre l’avion du Président Juvénal Habyarimana ;

— on remarque la concordance entre la thèse véhiculée par les FAR en exil (cf. documents transmis par M. Munyasesa à M. Filip Reyntjens) et celle issue des éléments communiqués à la Mission visant à désigner sommairement le FPR et l’Ouganda comme auteurs possibles de l’attentat ( cf. photographies et listes de missiles en annexe). Cette hypothèse a été avancée par certains responsables gouvernementaux français, sans davantage de précautions, comme en témoignent les auditions de MM. Bernard Debré, ancien Ministre de la Coopération, ou François Léotard, ancien Ministre de la Défense ;

— puisque les informations concordantes dont ont disposé à la fois les parlementaires de la Mission et certains universitaires -bien qu’elles aient été véhiculées par des canaux différents- apparaissent comme étant d’une fiabilité très relative et comme elles ne parviennent pas à désigner l’arme de l’attentat, la question se pose de savoir la raison d’une telle confusion.

L’intervention des FAR en exil dans cette tentative de désinformation ne les désigne-t-elle pas comme possibles protagonistes d’une tentative de dissimulation ? A moins que sincères, les FAR en exil aient elles-mêmes été manipulées mais, dans ce cas, par qui ?

Source : Assemblée Nationale, Mission d’information commune, Enquête, Tome I, page 242-245 sur la version sur Internet

Conclusion

Cet extrait du rapport de la mission parlementaire d’information montre sur ce point la probité des parlementaires de la mission d’information qui ont refusé, sur une question aussi grave, de se laisser manipuler par les ex-FAR, par la Direction du Renseignement Militaire et les anciens ministres Debré et Léotard. Les parlementaires ont même dénoncé cette tentative de manipulation, même si, s’agissant des institutions et personnalités françaises, ils le font à demi mots.

Ce faisant, ils ont disqualifié la piste des missiles numéros 04-87-04814 et 04-87-04835 qui s’avère être une tentative de manipulation, même s’il est prouvé que ces deux missiles provenaient de l’arsenal militaire de l’Ouganda.

La manœuvre est assez simple. Il est attesté que des missiles sol-air ont été saisi du FPR durant les combats dans l’est du pays. Ainsi, les FAR avaient récupéré le 18 mai 1991 lors d’un accrochage avec les troupes du FPR un missile SAM 16 numéro 04-87-04924. [7] Ce missile a été identifié par le Parquet militaire de Moscou comme faisant partie de la série de 40 missiles vendus à l’Ouganda au même titre que les deux autres missiles qui nous préoccupent. Rien ne dit que se soit le seul missile SAM 16 qui ait été récupéré dans ces conditions.

Après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, les FAR ont du ressortir deux de ces missiles en prétendant qu’ils les avaient trouvé sur les lieux de l’attentat. Les FAR ont produit un rapport d’identification avec les numéros de référence et ont photographié des missiles SAM 16. Sur les photos un seul numéro est visible et correspond à un des deux numéros du rapport d’identification des tubes lance-missiles. Seulement, ils ont oublié de tirer les missiles, ce qui fait que les photos présentent des tubes lance-missiles chargés [8]. Ces missiles, dont un est clairement identifié, ne peuvent donc pas avoir servi à descendre l’avion présidentiel.

C’est cette grossière tentative de manipulation, éventée depuis 1998, que le juge Bruguière tente de recycler en en faisant une des bases principales de son accusation contre le président KAGAME et ses collaborateurs militaires.

Enfin, au 17 novembre 2006, date de la signature de son ordonnance de soit-communiqué, le juge Bruguière ne pouvait pas ne pas savoir que le TPIR à Arusha détient la preuve que l’armée rwandaise le 6 avril 1994 possédait des missiles SAM 16 qui lui avaient été livrés par l’Egypte.

Il est donc assez évident que le juge Bruguière fait preuve de malhonnêteté intellectuelle en tirant la seule preuve matérielle qu’il présente des travaux de la mission d’information parlementaire française tout en se gardant, ne fusse que pour la réfuter [9], d’en reproduire l’évaluation qui dénonce une manœuvre de manipulation. Le juge Bruguière se fait ainsi sciemment le relais de cette tentative de manipulation concoctée par des responsables militaires des FAR tenus pour responsables du génocide, comme le Colonel BAGOROSA [10] et des militaires français.


Le Communiqué de l’association Survie au sujet du rapport Bruguière :

RWANDA. L’affaire Bruguière. Communiqué de Survie le 27 novembre

La France est actuellement engagée dans un bras de fer avec le Rwanda qui a rappelé son ambassadeur à Paris et rompu ses relations diplomatiques avec notre pays.

Á l’origine de cette « crise » se trouve l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière (rendue publique le 20 novembre dernier) sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, dans lequel les trois membres français de l’équipage ont perdu la vie, dans le cadre de la plainte déposée par les familles de ces derniers.

Le magistrat recommande des poursuites devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) contre l’actuel président rwandais Paul Kagamé, et vient de signer, avec l’aval du parquet parisien, des mandats d’arrêt internationaux contre neuf collaborateurs de ce dernier, dont le chef d’état major James Kabarebe.

En 1994, René Degni Ségui, rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies sur le génocide des Tutsi commis au Rwanda, avait été chargé d’enquêter sur l’attentat contre l’avion présidentiel dans la foulée de son enquête menée sur le génocide. Lorsqu’il pria l’ONU de lui fournir les moyens indispensables à cette fin, il s’entendit répondre qu’il n’y avait pas de budget pour cette investigation - ce dont il témoigna publiquement devant la mission d’enquête sénatoriale belge.

Un tir de missile abattait l’avion dans lequel se trouvaient deux chefs d’État (celui du Rwanda et celui du Burundi) à la suite de quoi un génocide était mis à exécution, sans que la communauté internationale juge nécessaire d’en savoir davantage.

L’enquête Bruguière, quant à elle, attend dans un tiroir depuis environ deux ans une éventuelle utilisation. De longue date tenue en réserve, elle jaillit sur le terrain dans un contexte politique dans lequel la vérité et la justice en sont pour leurs frais, comme en écho des procédures ouvertes devant le Tribunal aux armées de Paris (TAP) à la suite de plaintes de rescapés du génocide visant des militaires français, et de la commission d’enquête rwandaise sur la complicité française avec les organisateurs du génocide.

La France, dont le soutien au régime qui a commis le génocide est avéré, s’en tient à son exercice qui consiste à éluder cette complicité, et à accuser de ce qu’elle aurait pu et dû empêcher, les victimes d’un processus historique dans lequel elle a joué un rôle funeste.

L’enquête du Juge Bruguière, rapportée dans un document de 64 pages, n’apporte rien de nouveau sur la connaissance des faits, ni sur ce qui circulait concernant son contenu depuis longtemps. Il s’agit d’une enquête qui ne peut être considérée comme impartiale, qui se fonde sur ce que rapportent des militaires ou services français, sur les affirmations connues d’anciens militaires de l’Armée patriotique rwandaise (APR) dont les dires n’ont pas été vérifiés, et sans que le juge d’instruction se soit rendu au Rwanda afin de procéder à ces vérifications. Entamée en 1998 lors du déroulement de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda - il y a huit ans ! - tout semble indiquer qu’elle n’avait pas pour objectif de faire la lumière sur l’attentat du 6 avril 1994.

Sait-on pour autant, aujourd’hui, qui a commis l’attentat du 6 avril 1994 ? Non. Seule une enquête internationale indépendante et impartiale, initiée sous l’égide de l’ONU peut, et doit, faire la lumière sur cet évènement. Il serait temps de l’exiger, et de l’obtenir. Sa sous-traitance entre les mains d’un juge français aux ordres du politique n’est pas tolérable.

Il est également intolérable de constater les confusions jetées dans la compréhension d’une question qui concerne l’humanité toute entière, et bien entendu tous les Rwandais. Car si l’attentat (quelqu’en soit l’auteur) a été l’élément déclencheur du génocide, la responsabilité, l’organisation et la mise en œuvre de l’extermination de la minorité tutsi revient indubitablement aux extrémistes du régime Habyarimana.

Le génocide, le processus historique qui l’a précédé, l’attentat, ses intentions, ses conséquences, la responsabilité de la communauté internationale et celle de ses membres, ne peuvent être compressés dans un paquet signé Bruguière.

Au nom des victimes du génocide, il est du devoir des citoyens français d’exiger que la vérité et la justice soient faites, au détriment de tous les calculs, cynismes et mensonges.

Le communiqué de Survie au format pdf :

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[1] Ces éléments se retrouvent de la page 35 à la page 45 de l’Ordonnance de soit-communiqué.

[2] Assemblée Nationale, Mission d’information commune, Enquête, Tome II, Annexes, p. 265.

[3] Ibid, p. 263-264.

[4] Le retraçage de l’itinéraire de ces photos jusqu’à la Direction du Renseignement Militaire (DRM) français est un apport du juge Bruguière. Le DRM n’avait pas jugé bon de donner ces informations à la mission d’information parlementaire.

[5] Filip Reyntjens, « Rwanda. Trois jours qui ont fait basculer l’histoire », Cahiers Africains n°16, 1995, p. 44-45.

[6] Nous reproduisons l’ensemble des numéros car le rapport de la mission d’information parlementaire n’utilise pas les mêmes types de numéros que le juge Bruguière. Celle-là utilise la première ligne du tableau (modèle du lanceur) alors que Bruguière utilise la troisième (mois et année de fabrication) et la quatrième (numéro de série du lanceur).

[7] Les FAR l’avaient remis au Colonel René GALINIE alors Attaché de défense et Chef de la mission militaire de coopération qui avait rédigé un rapport circonstancié à l’époque reproduit dans les annexes du Rapport de la mission d’information.

[8] Au-delà de l’expertise commanditée par la Mission d’information parlementaire, tout un chacun peut aussi le constater de façon très évidente en regardant les photos reproduites dans les annexes du rapport de la dite mission.

[9] En soumettant par exemple les photos des lance-missiles et le rapport d’identification à une contre-expertise.

[10] Le juge Bruguière a interrogé le colonel BAGOSORA et le major NTABAKUZE dans leur lieu de détention à Arusha qui lui ont confirmé avoir vu les deux tubes lance-missiles en question à l’Etat-major des FAR et ils lui ont fourni une copie du rapport d’identification établi par le lieutenant Augustin MUNYANEZA.


(*)Jean-Paul Kimonyo, Ph.D. Analyste politique. Docteur en sciences politiques de l’université de Montréal/Canada ; ancien attaché de presse à la vice-Présidence de la République ; ancien directeur du Centre de gestion des conflits / UNR ; coordinateur et rédacteur principal du rapport 2005 du PNUD sur le développement humain/BURUNDI ;actuellement membre de la Commission chargée de rassembler les preuves de l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda.

L’article de Jean-Paul Kimonyo au format pdf :

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1 Message
  • Les erreurs et les étranges témoins du juge Bruguière...

    LE MONDE | 27.11.06 | 14h23

    Jean-Philippe Rémy - NAIROBI

    Il y a, dans l’ordonnance du juge Jean-Louis Bruguière transmise au parquet pour communiquer les conclusions de son enquête sur l’assassinat, le 6 avril 1994 à Kigali, du président rwandais Juvénal Habyarimana, événement déclencheur du génocide, une accumulation d’erreurs déconcertantes.

    Des noms, notamment celui d’un président, sont écorchés. Les miliciens interahamwe, bras armés de machettes du génocide, deviennent des "interahawe", tandis que la RTLM, Radio-télévision des Mille collines, qui relayait la haine avant le génocide puis les encouragements à tuer pendant son exécution, devient la "RTML".

    Il ne s’agit là que de détails. Mais s’agissant de l’importance de cette enquête, désignant l’actuel président du Rwanda, l’ex-chef rebelle Paul Kagamé, et tout son entourage de l’époque des faits comme les responsables de l’attentat, ces imprécisions laissent songeur.

    Ce n’est pas le seul défaut de l’enquête, telle qu’elle apparaît dans le texte de l’ordonnance. Des confusions d’autre nature, et plus graves, s’y sont glissées. Le juge Bruguière tente par exemple d’établir un parallèle entre une tentative d’assassinat par des militaires burundais de leur président, en 1993, dans laquelle le chef de la rébellion rwandaise, le Front patriotique rwandais (FPR), aurait été le "conseiller". A la suite de cet assassinat, des massacres ont fait près de 100 000 victimes. L’accusation est donc d’une extrême gravité. Pourtant, l’ordonnance n’apporte aucun élément de preuve à ce sujet.

    A la lecture du texte de 64 pages, il est, de plus, impossible de ne pas être frappé par le fait qu’une partie importante des témoins n’ont, précisément, pas été des témoins directs de faits ou de conversations qu’ils rapportent. Cela peut s’expliquer par le fait que ces témoins n’étaient pas investis de responsabilités importantes pendant la guerre.

    Au sein du FPR à l’époque, des Tutsis "de l’intérieur", nés au Rwanda et francophones, étaient utilisés essentiellement pour des fonctions de reconnaissance, au sein du "réseau des spécialistes", alors que les chefs rebelles anglophones, venus d’Ouganda, ignoraient tout de leur pays d’origine. A la victoire, ces Tutsis "de l’intérieur" ont été marginalisés au sein du FPR, voire persécutés. Certains ont fui à l’étranger.

    C’est essentiellement dans leurs rangs, à quelques exceptions près, que le juge Bruguière a trouvé des témoins. Ces derniers font état de réunions au cours desquelles la décision d’abattre l’avion de Juvénal Habyarimana a été discutée, puis prise par Paul Kagamé et son entourage. Ont-ils réellement entendu les propos qu’ils rapportent ou en font-ils un récit indirect, tout en affirmant avoir été présents pour donner plus de force à leur témoignage ? Certains, parfois, admettent clairement avoir "entendu dire" que certaines décisions capitales ont été prises à ce sujet. D’autres affirment avoir surpris des conversations.

    "SECONDS COUTEAUX"

    Est-il réaliste d’imaginer que des officiers subalternes ou de simples hommes de troupe aient pu, comme ils l’affirment, entrer et sortir librement de réunions où était discuté le principe de l’attentat ? Qu’un projet aussi confidentiel ait été exposé avec désinvolture devant des "seconds couteaux", bien loin de faire partie du "premier cercle" d’un pouvoir connu pour sa manie du secret ? Des accusations portées collectivement contre les dirigeants du FPR de l’époque, sur la base de témoignages dont une partie n’est que de deuxième ou de troisième main, ont-elles alors une chance de convaincre ?

    Ces faiblesses ne remettent pas en cause le fond de l’enquête, dont les conclusions font porter au FPR la responsabilité de l’attentat. Ces conclusions sont confortées, en particulier, par l’établissement de la filière des missiles ayant servi à abattre l’avion de Juvénal Habyarimana, et qui auraient été livrés au FPR.

    Mais là encore, quelques interrogations subsistent. Pour démontrer que l’ennemi du FPR, les Forces armées rwandaises (FAR), ne pouvaient détenir des missiles similaires, l’enquête avance les témoignage d’ex-officiers supérieurs des FAR. Or la plupart d’entre eux sont jugés à Arusha par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour leur participation au génocide, ce que le texte omet parfois de mentionner. La précision est pourtant de taille. Ces officiers supérieurs peuvent-ils être considérés comme des témoins fiables ?

    Jean-Philippe Rémy